I/ La construction en pisé, une culture constructive spécifique particulièrement développée sur les territoires de l’Auvergne et du Dauphiné du XVIIIème au XXème siècle

La construction en terre, pratiquée par l’Homme depuis des millénaires sur tous les continents jusqu’à aujourd’hui, se décline à travers les lieux et les époques dans de nombreux systèmes constructifs.

En France sont présentes quatre de ces techniques de terre crue :

  • la bauge en Bretagne principalement
  • l’adobe dans le sud ouest
  • le torchis bien connu dans le nord
  • le pisé dans l’actuelle région Auvergne-Rhône-Alpes

Le pisé est une des techniques d’élévation de murs épais de terre crue. Il est l’ancêtre du béton de ciment. Cette manière de construire représente une culture constructive qui a été largement ancrée dans l’espace et dans la durée, puis qu’elle concerne de nombreux départements et a été pratiquée massivement pendant presque deux siècles, de la fin du XVIIIème siècle à la seconde moitié du XXème siècle.

Ce sont non seulement des bâtiments d’habitation et bâtiments agricoles qui ont été édifiés en pisé, mais également des ateliers, usines, écoles, églises, fours, mairies, simples clôtures, demeures bourgeoises et châteaux ou encore des bâtiments de grande hauteur, comme certains immeubles canuts à Lyon. Il faut bien comprendre que la construction en pisé n’a jamais été limitée à l’autoconstruction. Il s’agit d’une culture constructive intégrée dans la production architecturale professionnelle, autour de laquelle étaient articulées une économie, des savoirs et des hommes. Le pisé faisait l’objet, au même titre que la pierre, le bois ou le béton, de choix architecturaux, de prescriptions, de contrôle quant à la qualité des réalisations… Parmi les architectes du XIXème œuvre sur le territoire isérois, on pourra citer Antoine Chamberot qui réalisa nombre d’édifices publics et privés en pisé (écoles de Bilieu, Le Pin, Velanne, mairie école de Soleymieu, presbytère de St Bueil…). Autres architectes ayant pratiqué la construction en pisé, Eugène Bardon et Bernard Quenin qui réalisèrent également des écoles et églises sur le territoire isérois.

Pratique encadrée, le pisé voyait son prix défini en fonction de la provenance de la terre, son achat éventuel ainsi que la distance de transport, le prix de la main d’œuvre, la quantité de mortier de chaux nécessaire en fonction des détails choisis, le bénéfice de l’entrepreneur… Les prix pratiqués au XIXème oscillaient ainsi entre 2 et 5 francs au mètre carré, prix systématiquement inférieur au coût de la pierre ou des premiers bétons, parfois jusqu’à 5 fois moins cher qu’une maçonnerie de moëllons.

différentes phases de construction pour un bâti en pisé, des premières banchées aux revêtements intérieurs

La construction en pisé consiste en l’élévation de mur massifs constitués de terre crue, compactée au sein de banches. Le procédé est à l’origine du béton banché que nous connaissons actuellement, béton pour lequel on utilise des granulats et liants calibrés et souvent d’origine lointaine. Le pisé à l’inverse voit sa matière première extraite non loin du site de construction et utilisée sans remaniement autre que la mise à l’écart des cailloux à la taille trop importante. Ce procédé hautement économique a facilité la construction du territoire dauphinois dès la fin du XVIIIème siècle, permettant au plus grand nombre de se loger sainement.

Selon les localités et les époques, certains détails peuvent varier :

  • la hauteur et la nature du soubassement (pierres, béton de chaux, béton de ciment, …)
  •  les modes de stabilisation (usage ou non de mortier de chaux, disposition de briques cuites aux angles, …)
  • les dimensions des banchées ainsi que le traitement des joints entre elles (obliques, d’équerre, stabilisés au mortier de chaux, …)
  • les formes des ouvertures et la nature de leur encadrement (briques cuites, pierre, bois, béton de ciment moulé, …)
  • les décors initialement réalisés à la fresque sur un enduit de chaux (frises, fausses pierres d’angle, trompe l’œil, cadrans solaires, …)
  • etc, …

II/ La construction en pisé, particularités techniques du matériau terre liées à son mode de mise en œuvre

La construction en pisé est un mode de construction où la terre est structurelle dans l’édifice. Ce sont en effet les murs élevés avec la terre compactée par lits successifs sur une épaisseur d’environ 50cm qui portent la charpente et les planchers. Cette technique est permise par un juste dosage de l’hygrométrie au moment de la mise en œuvre, ainsi qu’un équilibre quant à la courbe granulométrique de la terre utilisée (proportion de cailloux, graviers, sables, limons, argiles, …).

La terre est prélevée dans le sol, juste sous la couche de terre végétale. Sa composition variant, de même que les oxydes conférant leur couleur aux argiles, les édifices en pisé présentent une diversité de textures et de couleurs qui se déclinent selon la pédologie et géologie des lieux où la terre est prélevée.

Contrairement au béton de ciment, le pisé de terre n’est pas un matériau inerte : une fois le mur constitué il continue d’interagir physiquement et chimiquement avec son environnement. C’est ce point qui confère à la fois un grand confort aux constructions en pisé, mais c’est également ce qui leur donne une relative fragilité.

La terre, si non recouverte par un matériau étanche, en absorbant une part de l’humidité ambiante ou en la restituant en cas d’air trop sec, participe en tant que régulateur à l’équilibre hygrométrique de l’air intérieur. Il s’agit là d’un élément très important dans la mesure où l’humidité relative de l’air joue un rôle dans la température ressentie. Pour illustrer, on aura plus froid dans une pièce où 18°C sont mesurés mais où l’air est humide que dans une pièce où l’air est sec. A l’inverse on aura plus chaud dans une pièce où 25°C sont mesurés avec un air sec qu’avec un air humide. Ainsi sans pouvoir être considéré comme une isolant, le pisé participe fortement, grâce à ses échanges hygrométriques, à la qualité de vie et au confort thermique d’un bâtiment.

D’autre part en terme de thermique, la masse du pisé (1 900 kg/m3 en moyenne pour un pisé compacté manuellement) confère une inertie aux parois qui permet un déphasage entre le moment des apports thermiques (le jour) et leur restitution (la nuit). Il s’agit là d’un élément important qui permet de réguler la température interne, et qui par le décalage saisonnier induit fraîcheur en été et chaleur en hiver.

Comme énoncé précédemment, le pisé n’est pas un matériau inerte : il réagit tout au long de sa vie avec les éléments physiques et chimiques qui l’entourent, l’eau notamment. On doit donc considérer un bâti en pisé comme au centre d’un système d’interactions qui pour lui permettre de perdurer doivent trouver un équilibre. A leur conception initiale, les bâtiments en pisé ont été conçus et construits pour permettre au pisé de réguler son hygrométrie interne, et surtout pour lui éviter d’accumuler trop d’eau (systèmes d’enduits et de dalles perspirants, soubassements hauts, …). En effet, un pisé qui accumule trop d’eau voit sa structure se désagréger, entrainant à court ou long terme la chute de l’édifice.

Un édifice en pisé est donc un écosystème dépendant d’un équilibre qu’il faut maintenir. C’est la connaissance et le maintien de cet équilibre qui a permis à tant de bâtis anciens de nous parvenir, la période de construction du pisé ayant connu son apogée au cours du XIXème siècle. Il s’agit aujourd’hui de faire les bons choix afin que ce patrimoine continue d’être assez solide pour traverser les siècles.

III/ Enjeux contemporains du bâti ancien en pisé sur le territoire Auvergne-Rhône-Alpes

A ce jour, le bâti ancien en pisé sur le territoire Auvergne-Rhône-Alpes constitue un réel enjeu quant au logement et au développement du territoire. Plusieurs éléments se croisent qui rendent sa situation aujourd’hui complexe, démontrant la nécessité de politiques particulières le concernant ainsi que le recours à des professionnels spécialisés :

  • depuis la seconde guerre mondiale la connaissance et le savoir faire lié au pisé a disparu, le contexte historique ayant favorisé d’autres mode de construction. Cependant cette perte de savoir faire a favorisé et favorise toujours des travaux nuisant à l’écosystème pisé, le fragilisant souvent. La multiplication de ces désordres par méconnaissance est source chaque année de sinistres qui auraient pu être évités avec davantage de vigilance et l’usage de bonnes pratiques,
  • le bâti ancien en pisé est extrêmement répandu aujourd’hui encore sur le territoire, on estime en effet sur la région Auvergne-Rhône-Alpes plus d’un million d’édifices en pisé, privés et publics, alors que l’usage de ce mode constructif a diminué dès le début du XXème siècle,
  • le bâti ancien, en pisé ou non, fait l’objet de modifications afin de l’adapter à nos modes de vie contemporains. Ces modifications sont d’autant plus nombreuses et importantes pour le bâti que beaucoup optent pour la rénovation thermique et notamment l’isolation. Ce choix est tout sauf anodin pour un bâti qui a besoin de respirer, aussi la réhabilitation thermique doit être effectuée selon des pratiques respectueuses du pisé, et adaptées au cas par cas.
  • le bâti ancien est soumis à une importante pression foncière, urbaine et périurbaine qui conduit également à sa réhabilitation et en fait un véritable enjeux de l’aménagement du territoire.

Cycle de vie d’un bâtiment en pisé

1 – matière premières naturelles non prélevées // 2 – ressources naturelles transformées pour la construction // 3 – construction initiale avec utilisation locale des matériaux naturels // 4 – première vie du bâtiment // 5 – entretien du bâtiment // 6 – réhabilitation du bâtiment : adaptation aux usages contemporains et prolongation de sa durée de vie // 6b – délaissement et perte du bâtiment, avec possibilité de réutilisation directe de sa terre pour une construction nouvelle ou l’entretien d’autres bâtis

Le bâti ancien en pisé a été construit avec un usage quasi exclusif de matériaux naturels peu transformés et prélevés à proximité (terre, pierre, bois, chaux, …). Omniprésent, il constitue encore aujourd’hui une part importante de la vie de notre territoire. Prolonger sa durée de vie, c’est maintenir cette identité architecturale et les usages auxquels elle donne lieu. Le prendre en compte dans le développement du territoire, c’est aborder le futur de façon durable, en respectant ce qui est d’ores et déjà à notre disposition pour continuer de le faire vivre en l’adaptant à nos modes de vie.

C’est dans cette optique que nous avons créé Osmia Architecture, afin de rendre sa place à ce patrimoine de grande valeur, véritable leçon d’écologie à laquelle nous voulons donner suite avec cohérence, respect et créativité à travers nos projets.